Un week-end Blues à Rueil – octobre 2008

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Pour cette séance, nous nous sommes assurés la collaboration de deux connaisseurs de cette musique Christian et Jean, épaulés par Marie membres du Comité de Liaison des Amateurs de Rhythm & Blues.
Le C.L.A.R.B. est une association (loi 1901) de passionnés, il édite la plus ancienne et la plus intéressante revue française traitant de ce genre musical Soul Bag qui, cette année, fête ses 40 années d’existence (avec ses ‘petits’ 5 ans, MELAUDIA fait bien jeune).

Au travers d’une poignée de fragiles disques qui grattent, un échantillon arbitraire et non-exhaustif de chanteurs, chanteuses, pianistes, guitaristes, trompettistes, … viendra titiller nos oreilles pour une ballade dans le Blues, le Jazz, le Gospel, le Rhythm & Blues avec un détour rapide par la France.
Loin des milliers de chansons à écouter sur internet ou sur votre lecteur mp3, nous allons remonter le temps avec ces vieux objets palpables appelés 78 tours et 45 tours. Sur des disques originaux, dont certains datant des années 20. Ce sera une découverte unique sur le matériel mis en place par Mélaudia.
Des artistes légendaires, souvent oubliés -Blind Lemon Jefferson, Casey Bill Weldon, Cecil Gant, Llyold Glenn, Bobby Bland, Marcel Bianchi, Lonnie Johnson, Eddie Lang, …- côtoieront d’autres, plus connus, comme Muddy Waters ou Louis Armstrong.
Il faut se souvenir de l’époque où la diffusion musicale était moins numérique et haute fidélité, qu’il fallait commander ses disques aux USA. On les recevait par la Poste, parfois ils arrivaient cassés !
Lors de rencontres conviviales, les amateurs de Blues et de Jazz se réunissaient pour découvrir des artistes qu’il était souvent difficile de se procurer en France.
Sans être nécessairement collectionneurs, ils mettaient leurs achats en commun, dans le but de faire découvrir mutuellement leurs « coup de cœur ».
Dans des conditions optimums et originales, ce sera donc une occasion unique de renouer avec ces écoutes publiques.

Christian

Christian est venu avec une guitare National, l’occasion d’entendre le son direct de cet instrument, sans passer par toute la filière de la production et de la reproduction du disque enregistré.

Le matériel

La lecture des 78T nécessite un matériel quelque peu spécifique, une platine Clément avec des cellules 78T et microsillon a été mise en place pour la circonstance.
Derrière, l’ensemble de la chaîne de reproduction est traitée en mono bi-amplifié :

  • préampli Pultec pour la correction RIAA des microsillons
  • préampli Mc Intosh C8 (nombreuses possibilités de correction pour les 78T)
  • filtre passif 600Hz 18dB/oct JMLC (filtre ligne 600 ohm)
  • ampli 845 (un canal pour le grave sous 600Hz et l’autre au dessus)
  • caisson de grave « Iconic » avec un Altec 416-8B
  • pavillon Le dauphin + TAD 2001 pour l’aigu

La lecture des 78T (surtout les plus anciens) est acrobatique, puisque les courbes de correction de gravure n’étaient pas standardisées : la RIAA s’est imposée à partir des microsillons, auparavant, chaque label avait sa propre courbe de correction. Pour corser le tout, il y a plusieurs tailles de sillon (60µm à 120µm), et pour finir, les disques 78 tours… ne tournent pas tous à 78 tours/minute ! les plus anciens peuvent tourner à 80, 90, voire 100 tours par minute.
Pour un même disque 78T, le résultat d’écoute peut passer de l’inaudible au remarquable (et inversement), selon le système de lecture. L’idéal est de disposer d’une platine à vitesse variable, de nombreuses cellules, et d’un préampli correcteur de gravure aux nombreuses possibilités. Mais cela suppose de faire de nombreux essais avant de pouvoir déterminer la « bonne façon » de lire le 78T, ce qui prend du temps, et … use le disque.

On a donc pris le parti de n’utiliser que deux cellules (78T et microsillon).
Pour les 78T, lorsque le label n’était pas référencé dans le « Mc C8 Equilizing Chart », la correction de gravure était réglée à l’oreille au moment de l’écoute.

Pour les microsillons, on a écouté et préféré le Pultec au Mc Intosh C8.

Le samedi après-midi et le dimanche matin ont été consacrés aux réglages et petites réparations (matériel vintage oblige !)

autour du Mc Intosh C8 :
C8.pdf (308 Ko) – tiré du site http://mcc.berners.ch/pre-amplifiers/C8.pdf
McC8Manual1956.pdf (249 Ko) – tiré du site aujourd’hui disparu www.mcmlv.org
McC8EQChartSmall.pdf (491 Ko) – tiré du site aujourd’hui disparu www.mcmlv.org

L’écoute dimanche après-midi

Christian, Jean et Marie se relaient pour enchaîner les disques, intercalant des récits biographiques et des anecdotes, dans une atmosphère détendue. La musique coulera ainsi jusqu’à l’heure de la fermeture : new-orleans, blues, gospel, soul, …

Moments de détente

Dimanche midi, barbecue de rigueur. Un moment d’échanges toujours apprécié des participants.

Entre la poire et le fromage, Christian empoigne sa guitare pour un récital de morceaux de country et de blues.

D’où viens-tu Django ? (par Raoul)

Cette réunion est à marquer d’une pierre blanche, c’est la première qu’on organise spécifiquement sur un thème musical. On a fait honneur au premier terme de l’intitulé de l’association : MÉLOMANES.

À un moment, un disque de Lonnie Johnson est venu sur la platine, Christian a expliqué qu’il y avait une filiation dans le style entre Lonnie et Django Reinhardt, ce qui a été contesté par deux membres de l’auditoire. La discussion n’avait pas été tranchée et manquant de biscuits je m’étais gardé de prendre parti.

Avec un peu de recul et après avoir exploré les quelques documents que j’ai en ma possession, moi aussi j’ai trouvé une continuité de style de Lonnie Johnson à Django Reinhardt

J’ai trouvé de la matière dans ces publications :

  • L’Encyclopédie du Blues – Gérard Herzaft (SEGHERS)
  • Le Guide du Jazz – Jean Wagner (SYROS)
  • Le Grand Livre du Jazz – Joachim-Ernst Berendt (ROCHER)
  • Le Dictionnaire du Jazz – Philippe Carles, André Clergeat, Jean-Luis Comolli (LAFFONT)

Comme matériau musical, j’ai réécouté :

  • les débuts de l’intégrale Django Reinhardt chez FREMEAUX
  • « Steppin’ on the Blues » de Lonnie Johnson (COLUMBIA/OKEH) – une copie DAT sans les notes de pochette

Chronologiquement, il est intéressant de mettre en parallèle la carrière de ces deux musiciens. J’ai ajouté un troisième larron (Eddie Lang), on verra plus loin pourquoi.

Lonnie JohnsonEddie LangDjango Reinhardt
-joue à partir de 1917
-enregistre à partir de 1925
-principales activités discographiques 1925-32 1937-42 1945-53










-joue à partie de 1912
-forme un duo avec Lonnie Johnson en 1928-29
-principale activité discographique 1926-32










-joue à partir de 1922 : à 12 ans joue de la guitare et du banjo dans les bals parisiens avec las accordéonistes Guerino, Jean Vassade et Maurice Alexander
-remarqué par le peintre Emile Savitry qui lui fait découvrir le jazz en 1931 et écouter des disques de Ellington, Armstrong, Venuti-Lang
-enregistre sous son nom à partir de 1934
(cf. Dictionnaire du Jazz)
-sa technique instrumentale, exceptionnelle pour l’époque… ont fait de lui, dès le milieu des années 20 un guitariste de tout premier plan
(cf. Grand Livre du Jazz)
-l’histoire connue de la guitare jazz commence avec Johnny St Cyr et Lonnie Johnson
-le contraste entre le style rythmique plaqué [St Cyr] et le style arpégé du soliste [Johnson] qui domine l’évolution de la guitare, est illustrée dès l’origine par Johnny St Cyr et Lonnie Johnson
-Lonnie Johnson eut une influence majeure sur Eddie Lang, …il enregistra des disques en duo avec lui
(cf. Encyclopédie du Blues)
-Django et Charlie Christian se sont inspirés de lui pour créer la guitare jazz
-il est l’indubitable créateur de la guitare solo (note par note jouée au médiator)
(cf. Dictionnaire du Jazz)
-un des premiers improvisateurs à la guitare
(cf. Guide du Jazz)
-un des premiers guitaristes à appréhender son instrument comme un instrument mélodique
-le duo Venuti-Lang préfigura le duo Grapelli-Reinhardt




























(cf. Dictionnaire du Jazz)
-la musique de Django est le résultat de l’héritage tzigane et du jazz des années 30
(cf. Guide du Jazz)
-phrasé d’autant plus personnel qu’il ne devait rien à personne
-il fut le premier guitariste de jazz à avoir donné une dimension individuelle esthétique à son instrument
-[cf. Michel-Claude Jalard] : il demeure le seul à avoir épanoui un type d’expressivité qui ne renvoyât pas à celui des musiciens negro-américains
(cf. Grand Livre du Jazz)
-influença presque tous les guitaristes de jazz de la fin des années 30 à la fin des années 40 
-l’admiration de Django pour Lang s’exprima dans le célèbre Quintet du Hot Club de France







Les livrets de l’intégrale FREMEAUX ne me semblent pas apporter d’informations supplémentaires sur cette question de filiation.

Si on se penche sur la musique, dans l’intégrale FREMEAUX, on peut entendre Django au banjo le 20/06/1928 avec Jean Vassade mais dans un style musette.
Il faut attendre août 1934 sur des essais non publiés qui le montrent à la guitare solo, sur des morceaux comme « Tiger Rag », « After you’ve gone », « Confessin’ », pour commencer à entendre un phrasé jazz proche du style qu’il va développer, notamment l’enregistrement du Delaunay’s Jazz le 10/09/1934 qui préfigure le Hot Club de France.

Chez Lonnie Johnson, sur la compile COLUMBIA/OKEH, sur deux titres, Johnson a un jeu qu’on pourraît apparenter à celui de Django : « Guitar Blues » duo avec Eddie Lang enregistré le 7/01/1931 et un solo de guitare sans titre et non publié enregistré le 9/11/1927.

Seulement, ces titres ont tous été enregistrés AVANT que Django n’ait trouvé le style qu’on lui connaît.

  • Jean Wagner (Guide du Jazz) ne tient pas compte de l’existence de Lonnie Johnson
  • Gérard Herzaft (Encyclopédie du Blues) trace une filiation directe Johnson>Django, peut-être un peu ‘expéditive’
  • Joachim-Ernst Berendt (Grand Livre du Jazz) et le collectif du Dictionnaire du Jazz mettent en perspective une lignée Johnson>Lang>Django

Je pense personnellement que la dernière analyse est la plus juste.